Votes tactiques et Vote de Valeur
Qu'est-ce qu'un vote tactique ?
Définition d'un vote sincère (appliqué au vote de valeur) : « Un vote sincère consiste à donner à chaque candidat une valeur le plus objectivement possible, indépendamment des autres candidats en lice. »
Définition du vote tactique : « Un vote tactique consiste à s'écarter d'un vote sincère en fonction de stratégies électorales pour contrer ou favoriser certains candidats. »
L'invulnérabilité aux votes tactique n'est pas un critère au sens strict, calculable mathématiquement. Aucun système ne peut en être totalement protégé, mais l'expression est communément admise pour évoquer les possibilités de votes tactiques en fonction de chaque système de vote.
L'expérimentation réalisée en 2007 de deux variantes du Vote de Valeur, l'une avec une échelle réduite à 2 valeurs (vote par approbation), l'autre avec une échelle réduite à 3 valeurs, a montré que "ces modes de scrutin sont moins sensibles au vote stratégique que le scrutin uninominal à deux tours ; les électeurs s'y sentent moins contraints par la logique du vote utile" (voir le rapport d'expérimentation page 161).
Nous analyserons ici les principales formes de votes tactiques qui apparaissent dans le cadre d'un Vote de Valeur.
Le vote du rejet
Prenons un électeur qui juge "sincèrement" très favorablement A, a une opinion mitigée pour B,C, E et rejette très fortement D. Un vote dit "sincère" serait d'affecter par exemple +2 à A, 0 à B,C,E et -2 à D. Mais l'électeur craint tellement que D soit élu, qu'il affecte aussi +2 à B,C,E pour espérer que, si A ne l'emporte pas, B, C ou E puisse l'emporter sur D. Mais l'inconvénient de ce vote tactique pour l'électeur est qu'il a réduit les chances de son candidat préféré de l'emporter : B C ou E pourrait passer devant A.
Le vote du rejet : une protection pour la cohésion sociale
Pourquoi un vote aussi extrême ? Parce que l'électeur voit dans ce candidat une remise en cause radicale des ses opinions ou de ses intérêts personnels. Quelle motivation l'électeur peut-il avoir à défavoriser son candidat favori ? L'inquiétude, le sentiment d'un danger potentiel.
En d'autres termes, l'apparition de cette forme de vote est significative d'une crispation de la société et l'émergence politique de candidats jouant sur l'opposition et les rivalités entre composantes de la population.
En de telles circonstances, permettre de rejeter ainsi de tels candidats apparaît salutaire pour la sauvegarde de la démocratie et la cohésion sociale de la nation.
Le vote militant
Le vote militant est le comportement inverse du vote d'exclusion. L'électeur souhaite par dessus tout que son candidat soit élu. Il met donc la plus mauvaise valeur à tous les autres candidats par crainte de favoriser même très légèrement un autre candidat et que ce dernier puisse l'emporter devant son champion. La contre-partie d'un vote militant est que l'électeur défavorise les candidats dont il se sent néanmoins proche politiquement, autant que ceux qu'il désapprouve le plus.
Le vote militant : une nécessité démocratique
La consigne de vote donnée aux militants fait partie intégrante du jeu démocratique, tout comme l'action et l'existence même du parti et du militant. Sans eux, point de démocratie.
Si le système devait atténuer l'expressivité du bulletin de vote du militant et de sa vision partisane, il critiquerait à juste titre le système et s'en éloignerait, ce qui constitue un grand danger pour la démocratie. Contrairement à une compétition, au delà du résultat du vote, ce qui est important pour une démocratie, c'est que les citoyens aient pu pleinement s'exprimer, et peser individuellement, tels qu'ils l'entendaient, sur l'avenir de leur nation.
Dans le cadre du Vote de Valeur à l'élection présidentielle, quelle autre consigne de vote pourrait donner un candidat que celle de lui attribuer le maximum de points et le minimum à tous les autres ? Ce serait se "tirer une balle dans le pied" que de donner une autre consigne, et si ce devait être le cas, c'est qu'il a déjà acté sa défaite et qu'il soutient indirectement le ou les autres candidats. Tout cela reste par conséquent parfaitement cohérent et en rien répréhensible.
De plus, les votes "binaires" des militants de chaque candidat s'annulent dans les limites de leur nombre respectif. Il apparaît normal que le candidat qui dispose du plus grand nombre de militants entièrement acquis à sa cause possède un avantage sur les autres. Reste à convaincre la "majorité silencieuse", plus nuancée, mais largement majoritaire...
Le vote des sondages
Les sondages font aujourd'hui partie intégrante du système politique. Tous les électeurs sont inévitablement influencés dans leur vote par les prévisions des sondages.
Prenons ici un cas extrême : l'électeur focalise toute son attention sur les deux favoris des sondages, considérant que les autres candidats n'ont aucune chance de l'emporter.
Soit les 2 candidats favoris des sondages : B et D. Désireux de peser de tout "son poids électoral dans la balance", si l'électeur a une préférence (même légère) sur B par rapport à D, il mettra +2 à B et -2 à D.
Une fois ses choix réalisés pour les deux favoris, il affecte les valeurs aux autres candidats : En réalité, il préférerait A à B (donc +2 à A), il est en désaccord total avec le candidat extrême E (donc -2 à E), et estime que C serait un meilleur président que D, mais moins bon que B.
En reprenant l'opinion politique de cet électeur, imaginons ce qu'aurait pu être un vote "sincère" de sa part :
Le vote des sondages : des conséquences graves... mais surtout pour les autres systèmes et pour d'autres usages !
Nous ne discuterons pas ici ni des bienfaits ou non des sondages ni de la pertinence de les écouter au point d'en faire son critère principal pour ses choix de vote : c'est une question d'ordre politique pour le premier point et de choix personnel raisonné pour le second.
La question ici est de savoir dans quelle mesure un tel comportement de vote est problématique dans le cadre d'une élection démocratique et serait plus dommageable ou pas avec le vote de valeur comparé aux autres systèmes.
Dans notre exemple, avec le système actuel de l'élection présidentielle, voter selon les sondages revient à voter pour B, c'est à dire à rejeter autant E (le pire) que A (le préféré). Ce n'est plus une déformation du vote "sincère", c'est une inversion destructrice des préférences de l'électeur ! Il en est de même pour les principaux systèmes de vote par classement ou par points. Dans ces systèmes, réaliser un vote tactique impose de relever la position de candidats que l'électeur rejette mais qu'il ne juge 'pas dangereux' au vu des sondages. Si de nombreux électeurs réalisent le même vote tactique c'est ce "petit" candidat rejeté qui peut finalement être élu ! C'est pourquoi les notions de votes tactiques sont jugés importants dans la littérature et c'est normal. Il est souvent relevé qu'avec le Vote de Valeur, la souplesse laissée à l'électeur offre mathématiquement plus de possibilités de s'écarter du vote sincère. C'est exact, mais les contraintes des autres systèmes imposent à l'électeur de voter totalement à contre-sens, ce qui s'avère au final bien plus grave en terme de distorsion des résultats.
Enfin, il faut noter que les critères "d'invulnérabilité aux votes tactiques" sont tout à fait pertinents, voire prioritaires, dans le contexte de jury où les juges ont un devoir d'impartialité et d'évaluation objective. Dans ces usages, il est nécessaire de privilégier des méthodes de calcul qui minimisent le poids des juges affectant des valeurs décalées par rapport aux valeurs moyennes de la majorité des juges sensés être représentatif de la "vérité". Par exemple, dans un concours de patinage, un membre du jury pourrait "forcer" la note de son compatriote et "réduire" la note des candidats dont il les sait proches dans le classement final. Parmi les systèmes de vote par notation, la méthode du jugement majoritaire atténue davantage l'effet de ces votes tactiques.
Mais la démocratie n'est pas un concours, la volonté du peuple n'est pas la vérité d'un jury. Chaque électeur doit disposer du même potentiel d'expression et le système démocratique doit réaliser une synthèse de la diversité des opinions quelles que soient les motivations des électeurs. Le Vote de Valeur opère cette synthèse en comptabilisant équitablement le message formulé par chaque électeur sur chaque candidat.